jeudi 12 décembre 2013

La Métro bétonne sa concertation

« C’est ‘ma concertation’ » clamait haut et fort dans le Dauphiné Libéré du 9 octobre Marc Baïetto, président de la Métro, alors que l’association ‘Vercors à Cœur ‘ principale opposition structurée au téléphérique sur le plateau du Vercors lui demandait de ‘monter sur l’estrade’ pour faire valoir ses arguments contradictoires. ‘Ma concertation’, oxymore* révélateur du Baïettisme, forme de gouvernance en vogue chez les hommes de pouvoir consistant à décider tout seul, en faisant mine d’écouter la population. Il aurait dit ‘mon dialogue’ ou ‘mon échange’ que nul n’en eût été davantage surpris tant notre homme a depuis longtemps déserté les roides concepts de la philosophie pour aborder ceux plus élastiques de la ‘démocratie participative’. Donc qu’en est-il de la ‘concertation sauce baïettiste’ et de la démocratie telle qu’elle dysfonctionne dès qu’on aborde des ‘sujets à forte teneur économique’ ?

Réunions ‘déconcertantes’ ou comment escamoter le débat

On aime faire appel au Privé à la Métro : pour organiser les réunions de concertation, distribuer les documents préparatoires, dépouiller les registres mis à la dispositions du public, et même pour inventer le futur de l’agglomération ! « On est plus libre avec le Privé » dixit leur penseur en chef. Bon, il est sûr que c’est un peu plus cher : 270 000 € à Eiffage pour faire de jolis dessins et imaginer sur un coin table, numérique il est vrai, un avenir en béton aux contreforts du Vercors*, ça n’est pas donné. Mais du moment que c’est le contribuable-citoyen qui paie, tout va pour le mieux dans la meilleure des démocraties possibles.
En plus, le privé c’est tellement plus efficace, tellement plus discipliné, d’ailleurs il est docile jusqu’à livrer les documents de concertation avec le retard suffisant pour qu’ils arrivent dans les boîtes aux lettres après les réunions, des fois que les habitants du plateau en soient informés et qu’ils se déplacent en nombre. ‘Problème technique’ susurra d’un air contrit au début de chacune de ces réunions le commis métropolitain chargé d’annoncer les mauvaises nouvelles. Ou alors serait-ce de la simple incompétence ? Mais n’y pensez pas, le Privé plus incompétent que La Poste ! Mais dans quel monde vivrions-nous ? Heureusement que l’association ‘Vercors à Cœur’ a fait le travail en distribuant largement l’information auprès des habitants du plateau ; et pour pas un rond encore !

Un débat de concertation à la sauce Métro, ce sont des intervenants qui exposent pendant des heures les qualités supposées du projet, avec force plaquettes, panneaux et Powerpoint, et qui concèdent royalement au public de chétifs quarts d’heure pour poser leurs questions. Mais interdiction de reprendre la parole après : risque de débat contradictoire en vue ! Grands seigneurs certes, ou s’imaginant comme tels, mais peu enclins devant la faiblesse de leur argumentaire à se confronter aux problèmes concrets du plateau. Comme l’a dit l’un de leurs soutiers à la réunion de Lans-en-Vercors : « On vous fait le cadeau d’être là … » et qui a poursuivi dans sa tête ‘’… faudrait pas en plus nous emmerder avec des questions pertinentes’’. La bronca qu’il a déclenchée a témoigné d’une démocratie un peu moins corsetée que celle concoctée dans les salons à moquette double épaisseur de nos ‘innovants édiles’.
Décidément les vertacomicoriens savent recevoir. Déjà, lors de la réunion inaugurale de Saint-Nizier le commandant en chef Baïetto, avait menacé de quitter la salle car « on se payait sa tête ». Il faut expliquer qu’en proférant – sous la pression d’un questionneur avisé remarquant que ‘’la Métro ferait mieux de s’occuper des problèmes de circulation de l’agglo’’ – une bêtise du genre : « le Rondeau n’est pas ma juridiction » et enchaînant gaillardement avec « son désir d’intervenir dans le Vercors » (pas plus sa juridiction, faut-il le rappeler) qu’il avait déjà abusé de la magnanimité de ses hôtes plus que de raison.
Pour conclure en beauté, le sénateur Jean Faure, édile emblématique du Vercors et pas connu pour être un gauchiste même sur le retour, de qualifier lors de l’ultime réunion de Villard de Lans, les émissaires de la Métro de ‘centurions en mission’ dans l’idiome feutré des politiques rompus aux contorsions langagières. À traduire par ‘envahisseurs’ en langage courant. Ce à quoi répondit Yannik Ollivier, vice-président de la Métro : « qu’il en référerait à César » lâchant par-là le morceau pour un trait d’humour incontrôlé.

Le câble en Vercors ? Un prétexte pour couler du béton

La ‘’concertation’’ aura au moins permis de mettre à jour une chose : la totale méconnaissance du plateau du Vercors et de ses spécificités par les technocrates métropolitains. Méconnaissance teintée d’une morgue malvenue eu égard à leur incapacité vertigineuse à appréhender des réalités aussi simples qu’entre autres celle-ci : le plateau du Vercors est enneigé au moins cinq mois de l’année et s’y déplacer à vélo électrique pour rallier les gares, comme proposé par le porteur technique du projet Michel Gilbert, est d’un ridicule achevé.  On vous en passe et des moins fines… Et puis non, les occasions de rire se faisant rares, encore une du commandant en chef. Revenant de Bolzano, Mecque du pylône et du fil d’acier – évidemment puisqu’il permet de diviser par deux le temps de trajet entre la ville et la vallée alors qu’il l’égale péniblement dans le Vercors – Marc Baïetto déclarait : « Je suis convaincu qu'il nous faut le même système qu'à Bolzano, à savoir un téléphérique débrayable 3S … » [ autour des 100 Millions d’€ ]. Puis à Saint-Nizier quelque temps après : « Il n'est pas question d'un 3S, l'option télécabine est à 53 Millions d’€ ». Quelle constance dans l’analyse ! On sent que le projet est en de bonnes mains.

Pour conclure et résumer leurs intentions et leur pensée, vocable surdimensionné pour qualifier leur insipide verbiage techno-libéral (ville post-carbone, ville solidaire, ville démocratique), on dira de manière lapidaire et propre à être compris par tout le monde, même par eux : ‘’qu’ils s’en foutent, ce qu’ils veulent c’est placer du câble et couler du béton’’.

1 A lire sur le sujet l’excellent bouquin ‘La Politique de l’oxymore’ de Bertrand Méheust aux éditions La Découverte.

2 – Voir sur le numéro du Postillon n°22, l’article "Eiffage prépare le meilleur des mondes pour Grenoble"